L’intelligence artificielle révolutionne le secteur de l’assurance, mais son utilisation soulève de nombreuses questions juridiques. Entre protection des données personnelles, équité algorithmique et responsabilité en cas de dommages, le cadre réglementaire peine à suivre le rythme de l’innovation. Plongée dans les enjeux juridiques de l’IA pour les assureurs.
Les défis de la protection des données personnelles
L’utilisation de l’IA dans l’assurance repose sur l’analyse de vastes quantités de données personnelles. Le RGPD impose des obligations strictes aux assureurs en matière de collecte et de traitement de ces informations sensibles. Les compagnies doivent obtenir le consentement explicite des assurés pour l’utilisation de leurs données par des algorithmes d’IA. Elles sont tenues de garantir la transparence sur les finalités du traitement et les types de données exploitées.
La question du droit à l’explication des décisions automatisées est particulièrement épineuse. Comment expliquer de manière intelligible le fonctionnement d’algorithmes complexes d’apprentissage automatique ? Les assureurs doivent trouver un équilibre entre protection du secret des affaires et devoir de transparence envers les assurés. Le droit à l’oubli pose aussi des difficultés techniques pour effacer les données personnelles des modèles d’IA déjà entraînés.
Les risques de discrimination algorithmique
L’utilisation d’algorithmes prédictifs pour évaluer les risques et fixer les primes d’assurance soulève la question des biais discriminatoires. Le principe de non-discrimination interdit aux assureurs de traiter différemment les individus en fonction de critères protégés comme le sexe, l’origine ethnique ou l’orientation sexuelle. Or les modèles d’IA peuvent reproduire voire amplifier des biais présents dans les données d’entraînement.
Les régulateurs comme l’ACPR exigent des assureurs qu’ils mettent en place des procédures pour détecter et corriger ces biais algorithmiques. Cela implique d’auditer régulièrement les modèles et de tester leurs résultats sur différents groupes démographiques. La traçabilité des décisions prises par l’IA est cruciale pour pouvoir justifier l’absence de discrimination. Certains pays comme New York ont même interdit l’utilisation de certaines données sensibles dans les algorithmes d’assurance.
La responsabilité juridique en cas de dommages
L’utilisation croissante de l’IA dans la gestion des sinistres et l’évaluation des risques pose la question de la responsabilité juridique en cas d’erreur ou de dysfonctionnement. Qui est responsable si un algorithme refuse à tort une indemnisation ou sous-évalue un risque ? L’assureur, l’éditeur du logiciel, le fournisseur de données ? Le cadre juridique actuel n’est pas adapté à ces nouvelles problématiques.
Certains juristes plaident pour l’instauration d’un régime de responsabilité du fait des choses appliqué à l’IA, qui engagerait automatiquement la responsabilité de l’assureur utilisant le système. D’autres proposent de créer une personnalité juridique pour les systèmes d’IA les plus autonomes. Le Parlement européen réfléchit à un cadre harmonisé au niveau de l’UE. En attendant, les assureurs doivent anticiper ces risques dans leurs contrats avec leurs prestataires technologiques.
Vers une régulation spécifique de l’IA dans l’assurance ?
Face à ces défis, de nombreux pays réfléchissent à un encadrement juridique spécifique de l’utilisation de l’IA dans le secteur assurantiel. Aux États-Unis, plusieurs États ont adopté des lois imposant des obligations de transparence et d’audit des algorithmes d’assurance. L’Union européenne prépare un règlement sur l’IA qui classera certaines applications assurantielles comme à « haut risque », avec des exigences renforcées.
En France, l’ACPR a publié des lignes directrices sur l’utilisation de l’IA dans l’assurance. Elle recommande notamment la mise en place de comités d’éthique au sein des compagnies et l’instauration de procédures de contrôle interne dédiées. Certains appellent à aller plus loin en créant un label de conformité IA pour les produits d’assurance, sur le modèle du label ISR dans la finance.
La formation des juristes et des actuaires aux enjeux de l’IA devient un impératif pour les assureurs. De nouveaux métiers émergent, comme celui de « compliance officer IA », chargé de veiller au respect de la réglementation dans le développement des algorithmes. Les directions juridiques des compagnies d’assurance doivent désormais travailler main dans la main avec les équipes data science.
L’utilisation de l’IA dans l’assurance promet des gains d’efficacité considérables, mais soulève des questions juridiques et éthiques complexes. Entre protection des données personnelles, lutte contre les discriminations et clarification des responsabilités, le secteur fait face à un défi réglementaire majeur. L’enjeu est de trouver le juste équilibre entre innovation et protection des assurés.